L’or de Mansa Moussa

JOURS DE GUINEE, Yamoussa SIDIBE
Aug 12, 2021

L’or de Mansa Moussa

On m’a longtemps conté avec une pointe de suffisance que M’Bemba Mansa Moussa était riche. Les griots le répètent encore chaque fois qu’ils ont le sentiment que la fierté du Farafina est écorchée, chaque fois qu’ils veulent narguer les autres peuples. Et puis cela a été écrit dans des livres plus sérieux qui confirment l’opulence du roi du Mali médiéval.
Il serait encore considéré aujourd’hui comme l’homme le plus riche que la terre aura engendré.

Mais qu’est-ce que cela nous a rapporté ? Qu’est-ce que cela a apporté à son peuple. Le roi mandenka riche aura-t-il signifié que les mandings mangeaient à leur faim, qu’ils avaient des habitations commodes, qu’ils se déplaçaient et travaillaient dans de meilleures conditions ?




Les arabes qui bivouaquaient non loin de là dans le désert proche se léchaient les babines devant les fabuleuses mines d’or du Bouré. Et ils en voulaient, ils le voulaient pour eux-mêmes, pour eux seuls et pour leurs descendances. Ils convainquirent Mansa Moussa que la dynastie des Kanté, païenne et anti-arabe, affronte en ce moment les feux de la géhenne.


Ainsi ils islamisèrent le roi et sa cour sans difficulté. Que même le noble aïeul Soundiata regrettait d’avoir été animiste puisque les portes du paradis lui étaient fermées.

Mansa Moussa était ainsi pressé de s’ouvrir les sentiers du paradis et ses nouveaux amis arabes lui assénaient que cela prenait la forme d’un pèlerinage sur les lieux saints de l’Islam. Un voyage qu’ils l’aidèrent à préparer, prenant soin de lui expliquer qu’il devait emporter avec lui autant d’or que ses chevaux et chameaux pourraient transporter. Et ainsi commença l’exportation de nos richesses minières vers l’étranger, sans aucun retour pour le pays.

Mansa Moussa, fier d’étaler sa richesse, perturbera le cours de l’or en Egypte qu’il inondera de ce métal précieux. Et les scribes arabes écriront que le roi nègre était tellement riche qu’il relança l’économie de l’Arabie, permettant à un nombre important de citoyens de ce pays de manger à leur faim et d’habiter une maison.



Où est l'or de Moussa ? Puisé en Afrique, donné aux puissants pays Arabes

Qu’est-ce que Mansa Moussa gagna en retour ?
Rien.

Peut-être si. Une notoriété personnelle. C’est vrai, les gens disent encore aujourd’hui qu’il est l’homme le plus riche du monde. Cependant, ni son peuple ni son pays n’a bénéficié de cette richesse.

De l’Arabie, il n’est revenu avec aucun architecte pour tout au moins reproduire les maisons en dur qu’il avait vues au cours de son long voyage, il n’a ramené aucune plante exotique, aucune technique agricole ou artisanale.

Il n’a pas élevé la voix pour plaider en faveur des esclaves qui n’étaient que noirs en Arabie. Il n’y aura gagné que l’impression d’opulence.


Il est revenu au pays la besace vide.



A qui profite nos richesses ?

Près de huit siècles plus tard, la situation n’a presque pas évolué. La même méthode de dépouillement des étrangers et la même indolence de nos rois et présidents continuent à faire de nos pays des mines d’or, de diamants et de bauxite qui nourrissent les autres peuples.

Les Chinois, les Turcs, les Français, les Russes, les Sud-Africains, les Australiens, ... nous font les mêmes yeux doux que les arabes à Mansa Moussa, raflent et raclent nos terres bauxitiques et nos terres rares, les exportent chez eux, créent des usines de transformation et donnent du travail à leurs frères, crée le bien-être pour leur peuple.

Le fossé économique entre nous ne cesse de s’élargir et eux seuls tiendront ainsi la trompète dans les couloirs de la diplomatie internationale.



Puisqu’ils contrôlent nos mines, nos terres, notre éducation, ils parlent plus fort que nous et nous contraignent à accepter des miettes lors des négociations.

Parce que celui qui négocie le fait pour lui ou pour un petit clan. Il n‘a donc d’autres soucis que son seul enrichissement et sa notoriété.

Rien n’a changé. Comme du temps de Mansa Moussa.

Nous n’avons jamais compris le jeu. Il arrive parfois qu’en Guinée, au Congo, au Nigéria, au Gabon ou en Sierra Leone, que les dirigeants comprennent que leurs décisions retiennent et maintiennent leurs peuples au bas de l’échelle de l’humanité, que le chocolat que leurs citoyens achètent, que la voiture qu’ils suent pour acquérir est tiré à vil prix de nos sols et de nos sous-sols.




Et cela continue de plus bel. De plus en plus d’ailleurs c’est nous qui faisons le pas vers l’américain, le sud-coréen, ... Et les retombées pour le citoyen africain sont de plus en plus dérisoires.

Demain, le paysan guinéen, gabonais ou congolais sera contraint d’obtenir l’autorisation de l'étranger avant de cultiver le champ que lui a légué son père.


Comme les mines du Bouré, la terre rouge du Kakandé et bientôt de Gaoual qui continuent d’enrichir les autres peuples mais polluer nos rivières et travestir notre environnement.

Demain, le paysan guinéen, gabonais ou congolais sera contraint d’obtenir l’autorisation de l'étranger avant de cultiver le champ que lui a légué son père !!!



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Yamoussa SIDIBE
Yamoussa Sidibé est né en 1965 à Conakry. Il est agrégé de Lettres Modernes de l'École normale supérieure de Manéah (près de Conakry). Rédacteur en chef du journal télévisé de la télévision Nationale guinéenne en 2001. En dépit de ses charges, il reste un homme de plume. Yamoussa Sidibé s'est signalé aux critiques par Les balafres du pouvoir et d'autres livres qui ont suivi.