L'échec de l'école guinéenne

JOURS DE GUINEE, Yamoussa SIDIBE
Jul 11, 2021

Les examens nationaux sont terminés. Les résultats sont affichés. Les nouveaux détenteurs du baccalauréat se congratulent et inondent les réseaux sociaux de messages des plus désopilants.

" Je veut remersiez mon papa, ma mama, ma grande mère et tout le monde pour le soutient. Je travailler dure. Bone chanse a ce qui ont échouez. "
Ou encore :
" On a eu la tort, on a beaucoup souffrance, mais on a boché et on a declocher le bac "

Les enseignants dans leur coin se regardent et s'interrogent. Nous aussi. Comment comprendre cette fébrilité de l'enseignement guinéen ? Nos enfants seraient-ils moins intelligents que les autres ? Nos enseignants sont-ils à la hauteur ? Pourquoi des failles de cette dimension n'arrivent qu'à nous ? Des questions frivoles, tentatives de réponse évanescentes. Réponses évanescentes ?

Pas tout à fait. Nous sommes la génération ou les générations qui payent peut-être des politiques adoptées à un moment donné de notre histoire.

En dépit des défaillances qu'affichent actuellement notre système éducatif, on pourrait remonter à plus loin pour comprendre la déficience de notre enseignement.

On se rappellera ainsi qu'au lendemain de l'indépendance, l'idée que les diplômes et les compétences n'étaient pas la jauge du mérite avait vite fait de saper la rigueur et l'intransigeance dans l'administration guinéenne et fait le lit d'une précarisation progressive des structures de l'Etat.

On retiendra que la trompette a été très tôt retirée aux diplômés à qui on inculqua la gêne de s'afficher avec leurs attestations. Ils étaient en effet vite assimilés aux suppôts de l'ancienne puissance coloniale.

L'ambition cesse dès lors de se doter de moyens de réussite, seules peuvent suffire l'engagement politique ou les relations de famille ou de proximité. Cela assoira la conviction que " rien ne sert de se munir de diplôme si la chance n'est pas avec nous, si nous ne nous distinguons pas dans les structures du parti ".

Dans cette logique, une décision politique sera prise qui perturbera davantage l'entrée de la Guinée dans le monde des Etats modernes : la révolution culturelle socialiste, adoptée le 2 Août 1968. Cette révolution culturelle nourrissait pourtant la noble ambition de revaloriser les langues nationales.

Il est bien noble de permettre à l'enfant guinéen d'accéder au savoir scientifique par la piste de sa langue maternelle. Cependant, la conception et les différentes étapes de la mise en exécution de la Révolution culturelle socialiste témoignaient d'un amateurisme patent.

La décision de promouvoir les langues locales devrait être l'aboutissement d'une longue réflexion pédagogique, d'une assise didactique conséquente et d'une bonne connaissance des communautés cibles. Mesurer les conséquences et jauger les avantages et adopter la démarche la meilleure permettant d'étudier et d'assurer sans complexe les capacités d'adaptation de nos langues aux réalités scientifiques et technologiques. Une démarche qui garantirait leur respect et leur promotion.

La politique de la Révolution Culturelle socialiste est partie du principe que la langue était déjà un acquis, qu'il suffisait dès lors de lui tordre le cou et lui imposer l'expression de la science et de la technologie sans tenir compte de l'histoire et de la culture de la communauté dont c'est le code.

Le linguiste le moins expérimenté sait qu'une langue ne peut désigner avec responsabilité et efficacité une réalité dont ses locuteurs ignorent l'existence. Le recours au phénomène d'emprunt le cas échéant, doit aussi tenir compte des pratiques des locuteurs.


Le problème est que nos communautés n'ont jamais baigné dans l'abstraction scientifique et technologique. Ce sont des sociétés du vécu dont le développement dans le temps ne s'est pas essayé dans la recherche de l'atome et donc point ressenti l'exigence de comprendre les aventures de la molécule ou la recherche de l'inconnu mathématique.

On peut alors mesurer combien était périlleux de contraindre ces langues à exprimer des réalités que leurs locuteurs n'ont pas vécues. Même les mythes de nos communautés sont des reproductions du vécu. L'imposition de nos seules langues à l'école par une décision politique pendant plusieurs années, fera de l'élève guinéen, le maillon faible de l'espace francophone et scientifique.

Comme cela est indiqué, il s'agissait d'une révolution culturelle. Ce changement devait se faire progressivement, sans contrainte. Eviter le complexe de voir dans la langue française une langue de l'autre, mais notre langue désormais qui nous permet aussi d'accéder à l'histoire et à l'expérience du peuple dont c'est le code, nous enrichir de ses acquis culturels et scientifiques.


Le Français était déjà la langue d'intercommunication entre les différents groupes linguistiques du pays, mais aussi qui nous ouvre l'horizon sur les autres peuples du monde et donc sur de nouvelles réalités. Le noble souci de valoriser nos langues ne devrait pas qu'être politique mais surtout pédagogique. Ainsi, avec une bonne méthodologie, nos langues, progressivement, s'imposeraient presque naturellement comme des langues d'enseignement avec peut-être l'émergence d'une seule langue que tous utiliseraient sans contrainte et sans complexe.

La plupart des guinéens nés après 1960, ont subi de plein fouet les conséquences de la Révolution culturelle socialiste. Ils n'étaient pas moins intelligents que les autres et ont été des élèves assidus et studieux à l'école. Ils ont appris en classe tout ce qu'on leur demandait. Théoriquement ils ont le même niveau que leurs camarades africains, mais dans la réalité, le fossé est immense.

Les bacheliers qui ont ''souffrance'' aujourd'hui ne seraient-ils pas les héritiers des révoluti
onnaires d'hier

Yamoussa SIDIBE
Yamoussa Sidibé est né en 1965 à Conakry. Il est agrégé de Lettres Modernes de l'École normale supérieure de Manéah (près de Conakry). Rédacteur en chef du journal télévisé de la télévision Nationale guinéenne en 2001. En dépit de ses charges, il reste un homme de plume. Yamoussa Sidibé s'est signalé aux critiques par Les balafres du pouvoir et d'autres livres qui ont suivi.