Conakry, la perle rouillée

JOURS DE GUINEE, Yamoussa SIDIBE
Jul 11, 2021

On a dit et écrit que Conakry a été la perle de l'Afrique occidentale.

La perle, comme je le lis dans le dictionnaire, c'est la sublimation de l'instinct de beauté, ce qui attire, qui séduit, qui vous fait redouter la mort. Le symbole de l'élégance, de l'exotisme, de la séduction. La perle, on meurt d'envie de la tâter, de la sentir, de la vivre. La perle, c'est le Baya autour de la taille de la nubile qui fait soupirer le prétendant.

La ville de Conakry a donc pu être cette muse du poète ? Peut-être qu'il s'amusait avec sa lyre en égrenant des satyres… Tant on peine aujourd'hui à réaliser que cette ville a été la presqu'île de Cocagne qui a inspiré le barde à la recherche du paradis perdu. C'est vrai que cela fait longtemps. C'était dans les années 40 ou 50. Mais cela devrait laisser des traces dans la nature et dans l'attitude des Conakryka.

Mais je regarde et furète, cherchant un indice qui rattache à cette merveille. Rien. Les années semblent avoir corrompu la ville et ses habitants. La vie dans cette ville est devenue vile.

Dans la circulation routière, la ville s'est vêtue d'affres, d'injures et d'angoisse. Chacun fait ce qu'il veut, Le petit policier ou le petit militaire viole impunément la file. Le ministre qui s'est permis de ne se réveiller qu'à 9 heures, arrive avec sa sirène, heurte sans état d'âme l'humeur de ceux qui se sont levés plus tôt et les oblige à lui céder le passage.

Et puis, ces nouveaux usagers, ces mototaxis qui dictent leur loi, eux aussi. Aucune autre règle. Ils vous dépassent à gauche ou à droite et se présentent brutalement devant vous. C'est à vous demander s'ils ne vous implorent pas de leur marcher dessus.

Et la police routière dans ce capharnaüm? Incompétente, laxiste ou exténuée ? Aux trousses des motards comme à un jeu d'enfants, tapant bruyamment avec des bois sur les capots de voitures, ils ne choquent personne, en tout cas pas les conakryka, quand ils empochent d'insignifiants billets tendus par des usagers.

Et puis l'autoroute, cette voie réservée à la circulation à vitesse élevée ou les véhicules disputent la chaussée aux piétons, où les véhicules ahanent sur chaque kilomètre puisque les ronds-points grossièrement dessinés entraînent et entretiennent des embouteillages monstre.

Les habitants de la presqu'île de Conakry ne voient presque pas la mer, ils jouissent à peine de la brise marine. Le domaine public maritime a été privatisé. Cela a commencé aux premières heures de l'indépendance et cela se poursuit. Une poignée de privilégiés a pris les plages et les berges en otage.

Et personne ne parle. Et personne ne parlera parce que cela semble normal. C'est le monde du conakryka. Il ne connaît que ça, il ne sait pas que cela se fait autrement ailleurs.


l ignore que la ville peut être le meilleur endroit pour vivre. Le policier, un partenaire. Que les véhicules : voitures, motos ou vélo peuvent entretenir un dialogue harmonieux pour que toujours circuler reste un plaisir, et que dans ville, on pense d'abord à la première syllabe : la vie.


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Yamoussa SIDIBE
Yamoussa Sidibé est né en 1965 à Conakry. Il est agrégé de Lettres Modernes de l'École normale supérieure de Manéah (près de Conakry). Rédacteur en chef du journal télévisé de la télévision Nationale guinéenne en 2001. En dépit de ses charges, il reste un homme de plume. Yamoussa Sidibé s'est signalé aux critiques par Les balafres du pouvoir et d'autres livres qui ont suivi.